Le rapport secret sur le 80 km/h éventé
Exclusif - Faute d'une publication officielle, un vaste travail de recoupement permet de voir que les accidents ont augmenté durant l'expérimentation.
Par Jacques Chevalier
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| Le Point.fr
La transparence n'est pas le maître mot de la Sécurité routière. Alors que Bernard Cazeneuve,
initiateur en 2015 de l'expérience du 80 km/h sur trois tronçons de
routes secondaires promettait une démarche « transparente, honnête et
rigoureuse », ses successeurs se sont empressés de dissimuler les
résultats d'une affaire qui était déjà mal engagée. Comment, en effet,
tirer, d'aussi faibles sections d'étude et sur une période aussi courte,
un résultat qui soit éclairant ?
Néanmoins, l'expérimentation s'est tenue et s'est
achevée en juillet 2017 et ses conclusions auraient dû être livrées au
public à l'automne dernier, le temps de boucler un rapport qui soit
incontestable. Au lieu de cela, alors que la conviction d'Édouard Philippe
semble se fonder en grande partie sur cette expérimentation, aucun
bilan officiel n'a été dressé. Tout juste le Premier ministre a-t-il
répondu à la commission sénatoriale qui le pressait de questions que,
« entre juillet 2015 et juillet 2017, on a recensé 20 accidents
faisant 3 morts et 42 blessés ».
Face à cette carence, l'Association 40 Millions
d'automobilistes s'est livrée à un travail de fourmi en analysant les
fichiers du bulletin d'analyse des accidents corporels de la circulation
(BAAC) du ministère de l'Intérieur.
Sur les trois tronçons concernés, elle a pu tirer un bilan des fiches
de 2012 à 2016, soit 18 mois d'expérience et les 42 mois qui ont
précédé, en guise de référence. Et les constatations qu'elle a révélées
au Point en avant-première ne manquent pas d'être alarmantes
puisque, sur la seule année pleine de l'expérimentation à 80 km/h, tous
les indicateurs de 2016 repartent à la hausse. « 30 blessés sont alors à
déplorer, soit autant qu'en 2013, plus qu'en 2012 (26) et non loin
de 2014 (31), qui est la pire année en nombre de victimes (34) et de
gravité des accidents » souligne Pierre Chasseray, délégué général de
l'association.
1 mort tous les 28,7 km contre tous les 202 km
2016 est également la deuxième plus mauvaise année,
après 2013 et 2014, en termes de nombre de blessés hospitalisés et de
nombre de tués sur ces axes (voir tableau).« De plus, poursuit Pierre
Chasseray, en comparaison avec des données de mortalité routière
relevées à l'échelle nationale, les statistiques issues des routes
secondaires en test révèlent l'inefficacité de la mesure : alors
que 1 911 accidents mortels ont été recensés sur les 386 224 kilomètres
que compte le réseau secondaire français (soit 1 accident mortel en
moyenne tous les 202 km) en 2016, les sections de routes nationales
soumises à l'expérimentation font état de 1 accident mortel tous les
28,7 km. »
Soit tout de même cinq fois plus que le réseau de
référence. En revanche, 2015, qui a été une excellente année, y compris
au niveau national, ne constitue pas une base de comparaison sûre
puisque l'expérimentation a commencé le 1er juillet.
Ces résultats ne sont pas contestables, car ils
résultent des fiches officielles. La compilation des données, précise
l'association, livre en détail les « lieux », « caractéristiques »,
« véhicules » et « usagers », ce qui lève tout doute sur les
caractéristiques de l'accident, avant ou pendant l'expérimentation. Ces
données ont même permis de déterminer avec précision le lieu des
accidents, le nombre et la catégorie des usagers impliqués ainsi que la
gravité de leurs blessures. En revanche, les responsabilités et les
causes des accidents (comportement des usagers, alcoolémie, stupéfiants,
distracteurs, vitesse excessive ou inadaptée…) sont indisponibles, les
autorités considérant que leur publication pourrait porter atteinte à la
protection de la vie privée des personnes concernées et leur porter
préjudice.
On comprend dès lors pourquoi le Premier ministre
conserve sous le coude cette expérimentation qui n'est ni concluante ni
parlante. Trop limitée dans le temps et avec un échantillon de routes
trop restreint, elle ne peut refléter avec l'exactitude scientifique et
statistique attendue les effets d'une réglementation. Les variables en
2012, 2013 et 2014 le démontrent, un gros accident suffisant à lui seul à
bouleverser la statistique.
Elle a ainsi moins de poids que ce que les riverains et
usagers des tronçons concernés dénoncent, c'est-à-dire une circulation
en file indienne plus fréquente du fait des véhicules légers bloqués
derrière les poids lourds. Prises de risque pour doubler quand même,
énervement ou somnolence sont les effets dérivés de cette situation qui
peuvent expliquer la progression de l'accidentalité en 2016. De quoi
provoquer la colère des usagers qui remontent de toutes parts depuis
quelques semaines, des provinces qui se sentent ostracisées par Paris.
Arbitrage administratif
Nombreux sont les députés et sénateurs présents sur le
terrain à mesurer la grogne qui monte et à tirer la sonnette d'alarme du
côté du gouvernement. L'entêtement d'Édouard Philippe n'y fera rien,
les Français considèrent cette mesure inutile, vexatoire et de nature à
compliquer un peu plus encore leurs déplacements en province, voire à
ponctionner leur budget automobile déjà largement ébranlé ces derniers
mois avec les augmentations massives de la taxe C02, des assurances,
péages, parkings, PV, carburants, etc.
Rapportés par Le Figaro,
les propos du député LR de Moselle Fabien Di Filippo, qui a interpellé
le gouvernement à l'Assemblée, témoignent de ce ras-le-bol : « Les
Français éprouvent un fort sentiment d'injustice en se disant qu'ils
n'ont pas d'autre choix que de prendre la voiture et qu'ils se
retrouvent pénalisés par l'allongement des temps de trajet. Ils se
disent aussi que, derrière cette mesure, il y a la volonté du
gouvernement de les ratiboiser financièrement. Donc ça crée de la
crispation. »
Un sentiment qui est partagé par nombre de ses
collègues et par les sénateurs qui, les premiers avec Michel Raison
(LR), Jean-Luc Fichet (PS) et Michèle Vullien (UDI), ont créé une commission d'étude et déjà demandé le report de la mesure
au gouvernement en attendant les résultats de l'expérimentation. Une
démarche à laquelle adhère le sénateur LR cosignataire de la lettre au
gouvernement Alain Fouché.
« Si nous n'obtenons pas les informations que nous
demandons sur cette expérimentation, je suis décidé à porter l'affaire
devant l'instance administrative qualifiée pour la faire rapporter. Il
nous faut des éléments pour juger du bien-fondé d'une telle mesure qui
est ressentie par les Français comme un vaste racket. Le gouvernement
anticipe la réduction de recettes sur les carburants avec la montée en
puissance des véhicules hybrides et électriques et cherche des mesures
de compensation. Le 80 km/h sur route, qui va bloquer les voitures
derrière les camions, est de celles-là. »
Surfant sur ce mécontentement en organisant des
manifestations avec les motards de la FFMC partout en France,
l'association 40 Millions d'automobilistes suggère donc aux usagers de
télécharger sur le site internet
la carte d'électeur factice qu'elle a créée pour l'occasion. Elle leur
demande de l'envoyer symboliquement au président de la République pour
marquer leur désaccord avec la politique de sécurité menée par son
Premier ministre et, plus largement, pour refuser un système où
l'opinion des citoyens n'est pas prise en compte.
Pour consulter l'étude complète sur l'accidentalité des 86 km/h sur les routes test, cliquez sur ce lien
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