Ovule plus ovule égale bébé. Jusqu'à présent, l'équation valait chez les pucerons ou certains crustacés d'eau douce. Désormais, elle va pouvoir s'appliquer aux mammifères. Des chercheurs japonais ont fabriqué une souris en se passant de spermatozoïde. Ils l'ont remplacé par un ovule immature (1). Il aura fallu 457 tentatives, et, enfin, la «souricette» est née et est en bonne santé. Le verrou biologique qui empêchait un ovule d'être fécondé par un autre ovule chez les mammifères a sauté. «Dès lors, on peut s'interroger sur la qualité du produit de cette procréation», commente Bernard Jégou, directeur du groupe d'étude de la reproduction chez le mâle à l'Inserm. Car, en général, les ADN apportés par les deux cellules sexuelles lors de la fécondation ne fonctionnent pas de la même façon dans la descendance. Et celui du spermatozoïde a son importance pour le développement de l'embryon.
Après leur rencontre, «une partie des gènes provenant de la mère et une partie des gènes provenant du père vont être mis en silence, explique Jégou. Et des gènes paternels sont indispensables pour le développement du placenta, par exemple». Il suffit d'un seul dérèglement de l'expression de ces gènes pour qu'il n'y ait pas d'embryon, que la grossesse soit interrompue ou qu'une maladie se déclare à l'âge adulte. «S'il y a deux génomes féminins, les deux ADN parentaux vont-ils se répartir le travail de la même façon qu'après une fécondation normale ?» insiste Jégou. Le travail des Japonais ne répond pas exactement à la question, mais prouve qu'avec deux ADN maternels le travail peut parfois être fait quand même.
Pour augmenter leurs chances de réussite, Tomohiro Kono et son équipe se sont servis d'un ovule immature pour féconder un ovule mature. Bernard Jégou suppose qu'«à ce stade-là le génome de l'ovule immature est plus plastique, son empreinte génique moins verrouillée. Lors de la fusion, il peut mieux s'adapter au génome de l'ovule mature». A ceux et celles qui s'imaginent déjà concevoir des enfants sans père biologique, Jégou prévient : «C'est maintenant une question de mise au point pour que cela marche chez les espèces primates non humaines puis chez les humains, mais cette technique ne donnera naissance qu'à des filles.» Puisqu'elle ne fait pas appel aux spermatozoïdes, seules cellules sexuelles à pouvoir fournir le chromosome masculin Y.
Si la souris de Tomohiro Kono semble saine et même fertile, on ignore encore tout de la qualité de ses gènes. Certaines maladies génétiques pouvant être différées dans le temps. La technique risque de relancer le débat autour de la procréation médicalement assistée, mais, pour l'instant, les chercheurs préfèrent la voir comme le clonage, «un nouvel outil qui permettra d'étudier le développement précoce de l'embryon et de comprendre pourquoi, dans la nature, la fécondation d'un ovule par un autre ovule ne marche pas».

(1) Nature du 22 avril 2004.

Julie LASTERADE